Ce France – Angleterre 2019 était triste. Immensément triste. Et ce bien avant le coup d’envoi du match, ou le premier essai de Johnny May quelques secondes plus tard.
Depuis toujours, les Français sont les ennemis préférés des Anglais, et vice-versa. Le duo fonctionnait à la perfection depuis des décennies. Nous partagions un mélange de fascination-répulsion pour cet étranger si différent : nous sommes imprévisibles et désordonnés, ils sont pragmatiques et suivent un plan de jeu précis. Nous sommes beaux gosses et amateurs de bonne chair, ils ont des visages rougeauds et ont inventé le Fish and chips. Mais, un bon nemesis, c’est aussi quelqu’un avec qui on est étrangement proche sous certains aspects. Et nos propres défauts sont souvent ceux qui nous irritent le plus chez l’autre. Ah ces Anglais, toujours si arrogants !
Mais avant ce Crunch, on le sentait bien dans l’air : ce n’était plus comme avant. Lors des conférences de presse, les Anglais nous traitaient comme des adversaires lambda. Pire ! Comme des Italiens. Pas de trash-talking ou de tentatives de mind games (pour la traduction, demandez à Fabien Galthié). Non, mais plutôt des compliments. « Ils ont des très bons joueurs à tous les postes ». « Ça va être très difficile ». « Il faudra faire un bon match ». Un ramassis de banalités qu’on sort généralement plus pour se convaincre soi-même de ne pas trop se relâcher avant un match facile. Entendre tout ça, c’était tout simplement blessant. On ne méritait donc pas mieux ? C’est tout ce que nous réservait Eddie Jones, le roi des déclarations à la con ? C’est comme si soudainement, Batman arrêtait de prendre le Joker au sérieux, l’éliminait d’une simple gifle et gardait ses meilleurs gadgets pour le Pingouin.
Pour les Anglais, nous ne sommes donc plus qu’une petite étape sur la route du Grand Chelem. Celle qu’on passera sans mal si on est « sérieux et appliqués » et si l’on prend bien soin de la « respecter ». Maintenant, leurs ennemis préférés sont sûrement les Irlandais. Se faire quitter pour un roux qui sent la Guinness, c’est forcément difficile à avaler. Mais après tout, peut-être qu’on l’a bien mérité. Une rivalité, c’est comme une relation ça s’entretient. Et ça fait un bon moment qu’on se laisse aller. Dimanche, pour l’Angleterre, nous coller une branlée, c’était juste la routine.
Le film du match
0 : Le match est sur le point de commencer et premier constat : la composition d’équipe dévoilée deux jours plutôt n’était pas une blague de Jacques Brunel pour se venger des journalistes. Yoann Huget est bien positionné à l’arrière, et sur ce visage on peut déjà lire une l’expression mêlée de peur et de tristesse d’un animal qu’on envoie à l’abattoir. On me dit parfois que je suis méchant avec lui, mais quel niveau de cruauté faut-il pour le titulariser à ce poste à Twickenham ? Les entraîneurs du XV de France sont clairement pires que moi.
1e : On avait pris l’habitude de perdre les matches à la dernière minute. Gros progrès cette semaine : maintenant, on les perd dès la première. Ça a le mérite de ménager les nerfs des quelques supporters restants. Guilhem Guirado est servi au centre du terrain et dégueule le ballon d’une manière tellement spectaculaire que celui-ci termine sa course 10m plus loin. Elliott Daly lance la contre-attaque, échappe à la tentative de plaquage de Lopez et tape un coup de pied à suivre dans le fond du terrain. Sur son aile, Johnny May crame Penaud et Parra à la course et ça fait déjà 5-0.
2e : La sono de Twickenham célèbre cet essai en passant un titre des Rolling Stones. Une humiliation de plus pour nous, qui devons nous contenter de Magic System lorsqu’on arrive péniblement à pénétrer dans l’en-but adverse au Stade de France.
6e : Nouvelle erreur de Guirado qui commet une faute au sol, offrant une pénalité à Owen Farrell en face des poteaux. Le demi d’ouverture anglais passe les points, 8-0.
7e : Les gros plans de la réalisation sur les visages français font mal. De toute évidence, les mecs sont déjà carbonisés comme s’ils venaient d’enchaîner une Ironman et un match en 5 sets sur terre battue contre Rafael Nadal. Les Anglais eux sont en footing, à deux doigts de déplier une table de ping-pong dans notre en-but histoire de ne pas trop s’ennuyer.
10e : Après une chandelle de Parra cafouillée, les Bleus touchent enfin le ballon et parviennent même à le tenir sur quelques temps de jeu. Ça ne donne rien mais Nigel Owens revient à un avantage. Bien conscients que ce sera peut-être la dernière occasion du match d’en marquer, les Bleus prennent les points. Morgan Parra réussit son coup de pied, 5-3.
12e : Nouvelle faute française, cette fois signée Demba Bamba, pour une obstruction à la réception d’un coup de pied. À sa décharge le pilier du CAB doit être un peu sous le choc en passant des déplacements au stade du Pré Fleuri à Nevers à Twickenham. Comme le disait @VCorret sur Twitter, heureusement pour lui qu’il y a Cécile Grès au bord du terrain, ça lui fait au moins un repère familier. En attendant, Farrell rajoute 3 points, 11-3.
18e : Sous l’impulsion d’un Damian Penaud tranchant, les Bleus sortent enfin une action intéressante. Lopez tape une diagonale dans les bras de Fickou, qui tape à suivre par dessus Daly et force Tuilagi à sortir le ballon en touche à l’entrée des 22. Malheureusement, derrière, Guirado continue son récital avec une pizza en fond de touche qui lobe son sauteur.
20e : Le fond de terrain français est aussi désert que Disneyland un jour de rentrée scolaire, et les Anglais l’ont bien remarqué. Farrell tape un grand coup de pied et c’est Penaud qui doit jouer les pompiers. Les Bleus ne parviennent pas à se sortir de la pression anglaise, les tentatives de jeu au pied de Parra et Lopez étant soit mal pensées, soit mal exécutées, et souvent même les deux à la fois.
23e : Les Anglais récitent tranquillement leur rugby et décident de donner un petit coup d’accélérateur histoire de tuer le match avant la demi-heure de jeu. Après une longue séquence dans les 22, Farrell envoie une longue passe sautée sur l’aile de May, qui dépose Penaud avec un beau cad’deb pour aller marquer son deuxième essai. 16-3.
28e : Après une séquence à 16 temps de jeu, Farrell allume une chandelle sous laquelle Parra se troue. Ashton récupère le ballon et – vous ne l’avez pas vu venir – tape à suivre dans le dos de la défense française. Johnny May va marquer tranquillement, pas menacé par Yoann Huget qui préfère se retourner pour engueuler ses coéquipiers plutôt que d’essayer de le rattraper. Cette fois Farrell transforme, 23-3.
35e : Satisfaits de leur entame de match, les Anglais posent une nappe à carreaux au milieu de la pelouse et décident de faire une pause pour prendre le thé. Pendant que Farrell débat du Brexit avec Courtney Lawes, Yoann Huget profite de ce petit relâchement pour effectuer une relance et casser plusieurs plaquages. Lui-même a l’air un peu surpris, mais il a la lucidité nécessaire pour fixer Daly et servir Penaud. Le centre/ailier/lui-même ne sait plus trop apparemment sprinte le long de la ligne de touche et va inscrire un essai miraculeux. 23-8.
38e : Huget est d’ailleurs très actif dans le jeu offensif sur cette première période, et vient se proposer très souvent dans la ligne avec des interventions souvent utiles. Le Toulousain est manifestement en train d’inventer un nouveau poste, un peu comme lors de nos parties de foot dans la cour de récré, quand un gamin proclamait « moi je joue libéro » (ce qui généralement voulait dire « je veux le ballon mais j’ai pas envie de défendre »).
40e : Le XV de la Rose aurait pu nous laisser rentrer aux vestiaires sur cette note positive et nous laisser croire à une remontada héroïque. Mais ces gens-là sont décidément les ennemis du romantisme. Après un énième jeu au pied de Morgan Parra en mode « je ne sais pas quoi faire, je vais leur rendre le ballon et les regarder nous remettre un essai », les Anglais tapent un énième coup de pied dans le fond du terrain où Yoann Huget est absent – mais cette fois il a un mot d’excuse, il a pris une commotion.
Ashton récupère le ballon mais est plaqué par Fickou à quelques mètres de la ligne. Le jeu rebondit rapidement et c’est finalement Henry Slade qui va marquer après un plaquage raté de Guirado. Notez que sur action, le pilier Kyle Sinckler réussit la passe sautée décisive, comme pour mieux narguer Vahaaminaha. 30-8, et ce sera le score à la mi-temps.
Jacques Brunel n’en a alors plus rien à foutre et décide de tirer sa compo au sort pour la seconde période, ce qui doit lui rappeler ses parties de bingo dominicales. Je n’ai pas réussi à tout suivre donc je dis peut-être n’importe quoi mais je crois que Ramos est rentré à l’arrière, puis est passé à passe à l’aile. Ntamack a joué centre, puis arrière, puis 10. Alldriit est rentré en 3e ligne et Iturria passé seconde barre. À un moment il semblerait que Doumayrou ait également été déplacé sur une aile, mais c’est difficile à vérifier puisque, même en examinant les images des caméras de sécurité de Twickenham, il est pratiquement impossible de l’apercevoir sur la pelouse de Twickenham. Au milieu de cet énorme bordel, seul Dupont va réussir à surnager un peu, dans son style habituel, avec des départs au ras, des plaquages cassées et des percées sur lesquelles personne ne parvient (ou personne n’a envie ?) de le suivre.
50e : Lopez continue son festival, à tel point qu’on croirait qu’il est en train de rejouer une vidéo Youtube des pires actions de Jules Plisson. L’ouvreur clermontois se fait intercepter par Slade à l’entrée des 22. Le joueur d’Exter n’a pas les cannes pour terminer l’action et prolonge au pied sur l’aile d’Ashton. On s’attend tous à l’humiliation de trop : le Ash-Splash. Heureusement, Gaêl Fickou réussit un geste héroïque en plaquant l’ancien Toulonnais sans ballon. Évidemment ça fait essai de pénalité + carton jaune, mais ça reste tout de même moins douloureux. 37-3.
53e : Il est deuxième ligne. Il est roux. Et quand il se fait humilier, il réagit en se battant. Malheureusement Felix Lambey n’est pas encore au niveau de Pascal Papé et résiste à la tentation de prendre un carton rouge en envoyant une bonne mandale à Kyle Sinckler, qui ne demandait pourtant que ça.
54e : Après un coup de la corde à linge de Bamba, les Anglais jouent vite la pénalité. Farrell perce au milieu du terrain et tape à suivre. Dupont est à la course avec Johnny May et ne parvient pas à contrôler le ballon. Farrell profite du cafouillage et n’a plus qu’à aplatir dans l’en-but. 44-8.
Revivre ce match étant une expérience particulièrement pénible, je vous propose d’arrêter ce compte rendu ici. De toute façon, il ne s’est pas passé grand chose durant les 25 dernières minutes, à part Dupont qui essaye de jouer tout seul et des Anglais sortis de leurs matchs qui commettront plusieurs maladresses. En conférence de presse, Eddie Jones regrettera même d’avoir « laissé filer entre 15 et 20 points ». De toute évidence j’avais tout faux dans mon introduction : ils ne nous prennent pas pour l’Italie. Ils nous prennent pour la Namibie.
Pour ce qui est des Français, inutile de s’acharner sur eux. Les Anglais ont joué au rugby et cela a logiquement été très difficile pour nous, puisque notre spécialité reste le Top 14 : c’est un peu comme aller affronter Roger Federer avec une raquette de badminton. Certains ont essayé et ont été « valeureux » mais brouillons, à l’image de Yoann Huget qui représente tellement bien cette génération qu’il mériterait presque de remplacer le coq dans le rôle de mascotte de l’équipe. D’autres ont vite paru saoulés et sans solution, probablement bien conscients qu’il était impossible de rivaliser avec une équipe si bien organisée quand on est coaché par Jean-Baptiste Elissalde, probablement le plus bel emploi fictif de l’histoire du rugby français depuis Jo Maso.
Tout ce qu’on souhaite à ces joueurs c’est donc de « prendre les clefs du camion » (même si en occurrence on peut peut-être plus parler de bétaillère avec deux pneus crevés) et de relever la tête face à l’Écosse dans deux semaines. Et peu importe le résultat, on leur souhaite aussi et surtout de prendre un peu de plaisir. Parce que même si on aime bien se moquer, c’est quand même triste de voir des gars rentrer et sortir d’un terrain de rugby avec la même expression faciale que Bernard Laporte quand il est convoqué chez le parquet national financier.