Le musicien breton Yann Tiersen sort son dixième album studio. Enregistré sur l’île d’Ouessant, dans son studio, il propose un univers sonore intense ponctué des fines mélodies envoûtantes dont il a le secret. Depuis la Suède où il est en concert, il a répondu aux questions du Trégor.
Dans quelles conditions a été conçu l’album ?
Le centre de cet album c’est le troisième morceau Erc’h. Tout s’est construit autour ensuite. C’est le morceau le plus long. Je l’ai commencé alors que le studio n’était pas encore prêt. J’ai commencé par plein d’instruments acoustiques et ésotériques, il y a pas mal de harpe par exemple. Ce qui m’a influencé dans ma musique, au début des années 90, c’est le sampler. J’ai commencé à sampler plein de sons, c’est la musique électronique qui m’a libéré en fait et qui m’a fait aller vers plein d’instruments différents. J’ai samplé des disques puis je me suis samplé moi-même, puis je m’en suis libéré.
Quelle est votre formation musicale ?
J’ai été au conservatoire quand j’étais petit. La musique a toujours été en moi, j’ai toujours voulu en faire. Ça m’a permis de jouer de pas mal d’instruments mais ce n’est pas ça qui m’a influencé pour ma propre musique, c’est juste pratique.
Le lieu fait aussi partie de l’album, comme l’île ?
Il y a plein de choses, Ouessant bien sûr, j’y vis à plein temps. J’ai toujours rêvé de construire un studio. Ça s’est fait là. L’Eskal est un lieu qui appartient à Ouessant, où tout le monde a des souvenirs. J’y ai fait mon studio et je ne pouvais pas faire que ça car c’est très grand et un lieu ouvert. C’est ce qui est génial. Sur Ouessant, on est tous sur le même caillou, on ne peut pas faire son truc chacun dans son coin. À l’Eskal on peut tout faire, c’est ce qui est bien. Il ne reste plus qu’à imaginer. Sur une île on peut tout essayer.
L’identité des peuples est dans leur langue.
La langue bretonne est très présente. C’est un engagement pour vous ?
Les textes et les titres sont en breton. On a oublié que la langue se construit avec son environnement et l’homme se construit avec son environnement. Ces choses-là sont liées. C’est pourquoi les langues sont toutes différentes. L’identité des peuples est dans leur langue. On a la chance de vivre dans un monde où il y a des langues majoritaires pour communiquer avec des gens qui ne sont pas de notre culture. Mais ça ne remplace et même ça appauvrit les cultures de se limiter à ces langues. Avant d’apprendre le breton, j’étais toujours frustré pour définir certaines choses. C’est pas la langue qui me permettait d’exprimer ma pensée car le français est une langue hyper bavarde. Avec le breton c’est différent, l’essentiel de la phrase est au début par exemple. Je m’exprime plus facilement.
Denez ? J’adore ce mec.
Comment s’est passée la rencontre avec Denez ?
C’est un échange de bons procédés, j’ai fait deux morceaux sur son album. J’adore ce mec. C’est une rencontre évidente. On a fait ça sur mon album. Pour moi c’est quelqu’un de très important.
Vous avez mis beaucoup de sons d’ambiance dans l’album, à quoi correspondent-ils ?
C’est hyper important et symbolique, chaque lieu a une raison d’être. L’an dernier il a neigé sur Ouessant, c’est très rare et un groupe des vanneaux huppés s’est posé sur l’île. C’est très rare, je les ai enregistrés. Le lieu le plus important c’est un lieu en Californie où on s’est fait courser par un puma il y a cinq ans, j’y suis retourné pour enregistrer un morceau de violon dans la forêt à cet endroit. Un autre lieu dans le Devon aussi m’a inspiré où j’ai saisi des sons, un endroit de réflexion sur les nouvelles économies et sur l’environnement, c’est un lieu hyperpositif. Derrière il y a une forêt de séquoias, c’est la seule en Angleterre. Cette forêt résonne de plein de bonnes ondes. C’est un endroit magique. Pour moi cet album c’est une pièce de la cartographie de l’île d’Ouessant en musique et il y en aura d’autres.
CD : Yann Tiersen, All (Pias)