Depuis le début des blocages des Gilets jaunes, samedi 17 novembre 2018, à Rouen (Seine-Maritime) et autour, les forces de police ont été pleinement mobilisées. En surveillance, pour calmer les esprits ou pour débloquer des points de blocage. Les rapports ont été souvent cordiaux entre policiers et manifestants, malgré des incidents. Selon des policiers syndicalistes, « la majorité des policiers adhère ». La préfecture réfute cette affirmation.
Des agresseurs de policiers libérés et une collègue suicidée
« Le malaise est général dans la police », dit Olivier, du Mouvement des policiers en colère (MPC), devant le palais de justice de Rouen, mardi 20 novembre. « C’est lié à la mort de Maggy Biskupski, pas soutenue par sa hiérarchie qui a préféré ouvrir une enquête », avance Aïssa, syndicaliste Unité-SGP-Police-FO. La policière de 36 ans, tête d’affiche du MPC, s’est suicidée lundi 12 novembre. Frédéric, du même syndicat, expose la deuxième raison :
On se mobilise à cause de la libération des agresseurs d’un collègue de Toulon. On veut partager notre indignation, ce n’est pas positif pour les policiers.
Les syndicalistes ont été reçus par un procureur de la République « très constructif ». « On veut que la justice se rende compte que la police est impactée par de plus en plus de violences », appuie Aïssa. Elle déplore qu’il n’y ait « plus de respect de l’uniforme ou du brassard ». Cela dit, les deux syndicalistes ne réclament pas l’alourdissement des peines, « seulement leur application ». Le rassemblement n’avait pas de lien direct avec les Gilets jaunes.
« Nous sommes des citoyens comme les autres »
Pourtant, dans le groupe, on en discute. En plus du « malaise », il y a le « côté humain ». Olivier en est sûr : « On ne le dit pas ouvertement, mais une grosse partie des policiers rejoint clairement le mouvement. Les policiers font partie du peuple, ils ont les mêmes problématiques de pouvoir d’achat très bas. » Chez Unité-SGP-Police-FO, qui a appelé à la grève des contraventions sur les Gilets jaunes le 17 novembre, on reste prudents :
Il y a une forme de soutien, parce que nous sommes des citoyens comme les autres. Mais nous n’allons pas rentrer dans le mouvement.
Pas de ralliement officiel, « mais une sympathie pour un mouvement ni homophobe ni raciste », malgré de rares dérapages à Rouen. Sur le terrain, la bonne entente entre policiers et manifestants se constate sans outrance. « La police avec nous », réclamaient ces derniers au rond-point des Vaches dimanche en applaudissant la police. Ils venaient de faire une minute de silence pour les policiers tués ou suicidés. Les policiers n’ont pas bronché.
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VIDÉO. Les policiers applaudis par les Gilets jaunes, après être venus discuter avec eux :
#GiletsJaunes près de #Rouen : les policiers ont fini de faire le point, ils retournent en arrière. Ils sont applaudis par les gilets jaunes. pic.twitter.com/vOh2VIXNLg
— simon louvet (@LouvetSimon) 17 novembre 2018
« Des policiers qui enlèvent leurs casques, c’est possible »
Le dimanche, un policier a reçu des coups de la part d’un Gilet jaune, qui n’a pas été interpellé. « Il n’y a pas eu de dépôt de plainte », confirme une source judiciaire, qui met cette tolérance sur « l’âge » de la personne aux cheveux blancs, sur « le gros mouvement de foule et d’humeur » qui a accompagné le geste et sur « le calme revenu » après.
VIDÉO. Un policier frappé par un Gilet jaune qui refusait de libérer le passage :
🔴 #GiletsJaunes près de #Rouen : échanges de coups entre des policiers qui voulaient fluidifier le trafic et des gilets jaunes qui ne voulaient pas laisser passer. Grosse tension, les policiers font un cordon pour ouvrir. pic.twitter.com/nEWUKFjWy7
— simon louvet (@LouvetSimon) 18 novembre 2018
« Nous ne sommes dans la répression », exposait un policier aux Gilets jaunes, samedi. « On le sait », lui ont répondu deux Gilets jaunes. Tous n’ont pas cette facilité au dialogue : les éléments les plus durs refusaient tout échange, dimanche, sur deux points de blocage du rond-point des Vaches. « Vous êtes des pions », disaient-ils aux policiers.
Les déblocages des gendarmes mobiles opérés samedi et dimanche n’ont pas eu d’effet fort et même si le nombre de manifestants baisse, le nombre de blocages demeure. « Nous ne sommes pas assez nombreux pour tout tenir », regrette un policier. « On est juste des exécutants, on espère que les chefs vont dire stop, on ne veut pas taper sur les gens », dit Olivier. Il jure que « des policiers qui enlèvent leurs casques, c’est tout à fait possible ».
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« Aucune inquiétude, même pas un soupçon » à la préfecture
À l’état-major de la Direction départementale de la sécurité publique, on rappelle que « tous les policiers sont mobilisés » en renvoyant vers la préfecture. Alors, soutien ou pas des policiers au mouvement ? Le sous-préfet s’étonne de la question : « Elle me semble incongrue, nous n’avons pas d’inquiétude et aucun soupçon. » Benoît Lemaire estime que le bon déroulement des opérations du week-end vient du caractère « citoyen » du mouvement.
#GiletsJaunes près de #Rouen : mon ressenti est partagé par les policiers avec qui j’ai pu parler. « Ça se passe très bien, pour un événement pas encadré de ce type », dit l’un d’eux. Ils ont deux craintes : la personne percutée et la nervosité qui peut être renforcée par l’alcool. pic.twitter.com/jb9kiQlONn
— simon louvet (@LouvetSimon) 17 novembre 2018
En effet, les policiers ont surtout calmé les automobilistes et les Gilets jaunes en colère pour éviter l’incartade. Ils ont aussi prévenu les manifestants quand ils allaient intervenir, pour éviter la « galère » de l’évacuation à ceux qui étaient là pacifiquement. Lesquels ont souvent obéi, mais pas toujours, assure le sous-préfet :
Depuis samedi, nous sommes clairement sur de l’ordre public, nous avons libéré des points chaque jour. Parfois, des policiers qui allaient négocier ont eu affaire à des gens bornés ne voulant pas leur parler.
Son « sentiment contraire » à une complicité policière est validé auprès de 76actu par une autre source chez les forces de l’ordre. Selon elle, il est « impossible de savoir, parce qu’on en parle pas trop, on ne s’étale pas sur nos opinions pour avoir la paix ». Il ajoute que « ceux qui disent ça espèrent mais n’en savent rien, ils s’en persuadent ».
S’il ne faut pas s’attendre à voir les policiers troquer leurs gilets pare-balles pour du tissu jaune, il faudra attendre la manifestation parisienne du samedi 24 novembre 2018, où les deux vont défiler… chacun de son côté ?