En ce début d’année 2019, les instituts de formation des aides-soignants (Ifas) de Normandie peinent à remplir leurs promotions. À Flers, Alençon (Orne) et Vire (Calvados), les instituts ont même repoussé leurs clôtures d’inscriptions, faute de candidats.
Et dans les maisons de retraites et les hôpitaux, « quand une aide-soignante est malade, elle n’est pas remplacée », assure Delphine Boulan, secrétaire régional pour le syndicat Force ouvrière santé.
Plus de 2 700 offres d’emploi en Normandie
En 2018, Pôle emploi Normandie a recensé 2 711 projets d’embauche pour des aides-soignants, soit « 3% des projets d’embauche de la région ». Parmi ces 2 711 besoins recensés en 2018, 1 388 sont jugés difficiles à pourvoir par les employeurs.
La Région Normandie a même augmenté les quotas dans les Instituts de formation au métier d’aide-soignant pour faire face au besoin croissant de la région. 101 places supplémentaires ont été ouvertes dans les Ifas en 2019 pour arriver à 1 263 places dans les 25 instituts de formation normands.
Le secteur est en tension et la situation devient critique pour les patients mais aussi pour les soignants, qui n’en peuvent plus. Thierry Lafosse de la CFDT santé sociaux en Normandie assure :
Nos collègues sont en souffrance Ils ne peuvent passer que 15 minutes avec chaque patient le matin dans les Ehpad. Après la toilette, l’habillage et les divers soins, il n’y a plus de place pour le dialogue. C’est difficile. Nous travaillons avec des êtres humains, pas avec des boîtes à chaussures !
Des salaires de « misère »
Pour Thérèse Palla, une aide-soignante de Caen (Calvados) à la retraite et présidente de l’Union française des aides-soignants, le manque d’attractivité du métier n’est pas étonnant. « Le métier est trop difficile, on travaille dans des horaires décalés, les week-ends, dans des conditions compliquées, avec des salaires de misère, c’est normal que de nombreux aides-soignants se recyclent et que le métier n’attire plus. »
Effectivement, les salaires des aides-soignants qui débutent ne dépassent pas de beaucoup le salaire minimum. « Et en fin de carrière, on est rarement à plus de 1 600 euros », souffle la CFDT santé sociaux.
Et pourtant, le vieillissement de la population normande est réel et le besoin d’aides-soignants est criant. En Normandie, à l’horizon 2050, le nombre de personnes de plus de 85 ans serait multiplié par trois, soit plus de 7% de la population normande, contre moins de 3% en 2013, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).
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« Nous sommes considérés comme des subordonnés »
Que faire pour redorer le blason de ce métier dont les Normands auront de plus en plus besoin ? Pour Thérèse Palla, une revalorisation salariale est nécessaire mais également une reconnaissance du métier. « Les aides-soignants sont considérés comme les subordonnés des infirmiers et infirmières, il faut que ça change », estime-t-elle.
Pour Thierry Lafosse, c’est toute la chaîne des soins qui doit être réétudiée : « On observe une dérive des tâches à tous les niveaux : les médecins, de moins en moins nombreux délèguent à l’infirmière, qui délègue à l’aide-soignante… » Thérèse Palla pointe : « Quand on est aide-soignant, on travaille toujours dans l’illégalité ».
Par exemple, nous n’avons pas le droit d’effectuer des contrôles de la glycémie de nos patients. Quand nous le faisons, nous mettons notre responsabilité en jeu. La voisine du patient aurait plus le droit de le faire que nous, qui sommes pourtant formés aux soins !
Revoir le statut de l’aide-soignant
Pour ces soignants mobilisés pour faire changer leur profession, il faut revoir le statut de l’aide-soignant, ses missions, ses conditions de travail mais aussi sa formation. « On a fermé huit Ifas en Normandie en 2016, alors que le secteur est en tension, ce n’est pas normal, ajoute Thérèse Palla. Si les futurs candidats, qui se font déjà rares, doivent faire encore plus de route pour se former, c’est sûr qu’ils ne viendront pas. »
Des négociations sont en cours avec le ministère de la Santé. Les aides-soignants des maisons de retraite publiques toucheront une prime en 2019, a annoncé Agnès Buzyn, ministre de la Santé, le 9 janvier 2019. « La pénibilité dans ce travail (…) doit être reconnue », a-t-elle affirmé à l’AFP, estimant « qu’il y a vraiment une difficulté particulière » pour cette profession.
La ministre n’a précisé ni le montant, ni le calendrier de cette mesure, expliquant qu’elle allait « y travailler avec les partenaires sociaux » et qu’elle aurait des annonces à faire durant l’année. « Et ceux du privé, on en fait quoi ? », questionne Thérèse Palla. La problématique des conditions de travail est loin d’être réglée.
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