Hélène (prénom d‘emprunt) est l‘épouse d‘un surveillant pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe.
Mardi 5 mars, jour de l’attentat perpétré par Michaël Chiolo et sa compagne dans l’établissement condéen vers 9 h 30, elle a reçu un sms d’une amie.
« Elle m’a écrit : « Regarde les infos ! » J’ai pensé à un reportage que je devais enregistrer… Mais quand j’ai allumé la télé, ça a été un gros choc ! Je ne m’attendais pas à cela ! J’ai été en stress un long moment car les surveillants n’ont pas de téléphone sur eux donc ils ne peuvent pas nous appeler et j’étais incapable de téléphoner à la centrale ! »
« On n’est pas épaulées »
C’est finalement vers 12 h 45 qu’elle a eu des nouvelles de son époux, par l’intermédiaire d’une connaissance du couple « qu’il avait pu joindre ».
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Le jeudi suivant, lorsqu’un surveillant sur le piquet de grève a connu un malaise cardiaque, Hélène a connu la même angoisse. « Là encore, j’ai appris cela par sms et je n’ai pas eu de nouvelles de mon mari avant un long moment ».
Hélène ne cache pas que, depuis l’affectation de son mari à la prison de Condé, elle vit « avec la peur au ventre chaque jour que mon mari ne rentre pas à la maison le soir ».
Il était militaire quand elle l’a épousé.
« Et nous, les épouses, on était plus considérées par l’Armée, surtout quand les époux s’en allaient en mission. Là, nous n’avons aucun suivi par l’administration pénitentiaire quand il se passe un drame. On n’est pas épaulées du tout. Et il n’y a pas de collectif d’épouses non plus pour qu’on se soutienne entre nous. Peut-être que c’est à nous d’en créer un… ».
Cette maman ne cache pas sa solitude dans ces épreuves. « Personne ne s’inquiète de savoir si les familles vont bien ou pas. Parce que même si mon mari n’a pas été victime de cet attentat, tous les surveillants travaillent ensemble et le risque est le même pour tous donc que ce soit n’importe lequel d’entre eux, ça nous inquiète. »
« Un métier secret »
Elle se dit « déçue » par ce métier « car les surveillants ne sont pas en sécurité ». Elle cite en contre-exemple un concert auquel elle est récemment allée :
« J’ai été palpée et contrainte de boire deux briquettes de jus d’orange avant d’entrer parce que je n’avais pas le droit de rentrer dans la salle avec ! Il y a un sacré malaise quand même quand on sait qu’eux, les surveillants, n’ont pas le droit de palper les visiteurs de détenus ! »
Le sujet de la profession du chef de famille est même un sujet tabou dans leur foyer.
« On évite de parler de ce qui se passe là-bas devant les enfants. D’ailleurs, mon mari en parle assez peu à la maison. Et on conseille à nos enfants de ne pas le dire non plus, on ne sait jamais qui elles peuvent rencontrer à l’école ou au lycée. Un camarade de classe peut aussi être l’enfant d’un détenu… Surveillant pénitentiaire, c’est un métier secret en somme. Et face auquel on n’est pas épaulé ».
« Qu’ils aillent jusqu’au bout »
Parfois la peur la prend aussi en regardant les infos.
« Avec tout ce qu’on voit, je me dis aussi qu’il peut être suivi le soir en rentrant, jusqu’à chez nous ! Ils n’ont pas de protection quand ils sortent du centre pénitentiaire. Ils ne sont vraiment pas reconnus à la hauteur de ce qu’ils font et attendent ! »
Alors Hélène est de tout soutien avec son époux dans le blocage du centre pénitentiaire de Condé. « Il faut qu’ils aillent jusqu’au bout ! Certes, on ne les voit pas beaucoup à la maison en ce moment, mais il n’y a pas le choix ! Il faut vraiment faire évoluer ce métier ! Ils ont tous une vie de famille derrière et on est toutes solidaires de nos maris ! »
« Les surveillants ne sont pas des super-héros ! »
Caroline (prénom d’emprunt) est également l’épouse d’un surveillant de Condé-sur-Sarthe.
Cette mère de quatre enfants se dit « attristée de voir la tournure des événements et l’ignorance du gouvernement sur la précarité de ses troupes au sein de l’administration pénitentiaire ».
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Son conjoint s’est présenté au concours d’entrée, « il y a deux ans », par « vocation » et « nécessité pour le bien-être de sa famille ». Elle le qualifie de « prudent car il connaît les dangers de ce métier » et assure qu’il se « plie aux directives et instructions fournies par l’École Nationale de l’Administration Pénitentiaire ».
« Il se plie aux directives »
Mais, selon elle, « lorsque les détenus sont en promenade, que le surveillant doit ouvrir les cellules à plusieurs détenus à la suite et en même temps et cheminer sur une coursive de la largeur de deux personnes collées côte à côte : c’est du suicide ! »
Elle regrette que les surveillants ne soient pas équipés davantage pour faire face « à des détenus qui ont commis des meurtres, des viols et d’autres radicalisés » :
« Mon mari, comme tous les surveillants, n’a rien d’autres sur lui que son pantalon d’uniforme, son polo ou pull à manches longues, des rangers (achetées par les surveillants eux-mêmes car celles fournies sont soit défectueuses, soit pas résistantes), des gants, un trousseau de clés (avec un nombre incalculable de clés) et le sifflet en plastique. Que doivent-ils donc faire pour se protéger, avec cet équipement, contre des couteaux fabriqués à base de brosse à dents, de lame de rasoir, ou encore contre une bouilloire, ou même des excréments ? »
« Un polo en guise de protection »
Elle souhaiterait, comme toutes les conjointes et tous les conjoints de surveillants, « être sereine de les voir partir au travail en sachant qu’ils sont protégés, ou armés, ou entourés et qu’ils vont revenir le soir. Les savoir en train de marcher dans un couloir de 3 m de large avec des détenus qui se baladent hors cellule, qui les frôlent, les bousculent alors qu’ils n’ont qu’un polo en guise de protection, c’est une blague ! S’ils sont attaqués, vous pensez vraiment qu’ils ont le temps de prendre leur sifflet et d’avertir leurs collègues ? Ce qui est arrivé à Olivier et Yannick, nos conjoint(e) s ont la précarité de la subir à tout instant par manque de moyens, par manque d’effectifs, par manque de sécurité, par manque de fouilles. »
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Caroline livre son témoignage « parce qu’il faut que leur quotidien au travail soit connu ». Elle veut aussi faire entendre « la voix des familles qui s’inquiètent pour la sécurité de leurs conjoint(e) s au travail » mais aussi « la voix des enfants de ces surveillant(e) s ».
« Papa risque sa vie »
Elle cite ses pré-ados de 9 et 11 ans : « Ils me disent : « Papa risque sa vie pour garder des méchants mais il n’a pas de bâton, pas de gilet, pas de casque comme les policiers qui viennent pendant le blocage. Papa, il est fort mais ce n’est pas un super-héros ». Mes enfants ont raison ! Ils ne sont pas des super-héros. Il leur faut donc des moyens de protection (casques, gilets, armes pour les quartiers les plus durs, tonfa ou bâton télescopique), des moyens de surveillance plus avancée (caméras, portiques, chiens), des conditions de travail adaptées à la hauteur de la dangerosité de leur métier. »
Et Caroline de conclure :
« Je suis la femme d’un surveillant et je souhaite le rester ! »