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Près de Guingamp : l’agriculteur a vendu sa ferme pour devenir ouvrier

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« A la ferme, tes 35 heures tu les as faites en trois jours ! On est plutôt habitué à des semaines de 70 heures », raconte cet ancien agriculteur du pays de Guingamp. (photo d'illustration) -
« A la ferme, tes 35 heures tu les as faites en trois jours ! On est plutôt habitué à des semaines de 70 heures », raconte cet ancien agriculteur du pays de Guingamp. (photo d'illustration) -

Difficile pour cet agriculteur d’aller voir sa mère pour lui annoncer qu’il vendait l’exploitation familiale. La ferme laitière que cette dame de 80 ans avait tenue avant lui et qu’il avait reprise. Elle lui a d’abord répondu qu’il détruisait ce qu’elle avait mis quarante ans à construire. « Mais, aujourd’hui, elle trouve que j’ai eu raison. Elle a bien compris que je n’ai rien détruit. Au contraire, je l’ai améliorée et je l’ai rendue transmissible. » Aucun regret pour cet homme qui veut rester anonyme, car il démarre une nouvelle vie et ne « veut pas de quiproquos ».

S’adapter à des horaires fixes

Cet ancien paysan du pays de Guingamp est devenu « ouvrier dans une entreprise du secteur, hors agriculture ». Une nouvelle vie, à mille lieues de ces années passées près des bêtes. Il n’en dira pas plus sur son nouveau métier.

La réalité de ce métier, c’est qu’on manque d’ouverture sociale »

S’il a accepté de nous rencontrer, c’est pour nous parler de son ancienne profession, uniquement. Il vient de tourner la page après 23 ans comme paysan. Il va désormais devoir s’adapter à des horaires fixes, à des semaines de 35 heures, à de vrais week-ends, sans vaches à traire matin et soir. Et à un meilleur salaire aussi, même si ce ne sera qu’un Smic, pour celui qui ne se prélevait que 1 000 € par mois sur son exploitation agricole, « sinon ça ne passait pas ».

Rencontrer du monde, faire des activités

Il va devoir aussi trouver à s’occuper, une chose à laquelle il n’avait jamais pensé jusqu’à présent : « A la ferme, tes 35 heures tu les as faites en trois jours ! On est plutôt habitué à des semaines de 70 heures. Parfois plus même aux périodes de semis ou de récoltes, dans ces moments-là, on n’est pas rentrés à 18 h à la maison ».

Le mot loisirs est tellement nouveau pour lui, que cet homme de 46 ans ne sait pas dans quelle direction regarder. Du sport ? « Je n’avais pas besoin d’en faire quand j’étais paysan, je bougeais assez comme ça toute la journée. Mais là je ne sais pas si je vais m’y mettre… Je préférerais plutôt aller dans des associations où les gens se rencontrent et discutent ».

Voir du monde, un besoin devenu presque vital pour celui qui passait une bonne partie de ses soirées à aller marcher, après la traite, « dans la nuit noire à regarder les étoiles. Je ne croisais personne dans mes petits chemins, j’étais tranquille, mais trop tranquille aussi. »

Dame Nature, comme il l’appelle, était sa meilleure amie. Sans lui devenir infidèle, ce célibataire pense aujourd’hui à bâtir une vraie relation. Il veut trouver l’âme sœur, construire une « vie normale », même s’il estime avoir passé l’âge d’avoir des enfants. « Il n’y a rien de pire que de vivre tout seul, penser tout seul, travailler tout seul. La réalité de ce métier, c’est qu’on manque d’ouverture sociale, on est cantonné à la production et considéré comme des apporteurs de matière première, mais sans prix. Derrière, c’est l’entreprise de collecte qui fait la pluie et le beau temps. »

Le docteur m’a dit que j’avais besoin de repos »

Tout n’a pas été aussi paisible qu’aujourd’hui pour cet homme effacé. Il y a quelques mois, il était en maison de repos, après ce qu’il n’appelle pas un burn-out. « J’étais arrivé à un stade où je ne dormais plus de la nuit à cause de ma situation financière. Je n’avais pas vu un médecin depuis au moins cinq ans. Je n’étais jamais malade. Mais quand je suis allé chez le docteur, tout de suite il m’a dit que j’avais besoin de repos. » Un mois dans un petit cocon pour faire le break. C’est le déclic.

Pour la première fois depuis longtemps, il « décroche de tout. Je n’ai plus pensé qu’à moi et j’ai envisagé la sortie de route. » Une sortie de route négociée, là ou malheureusement plusieurs de ses amis n’ont pas réussi à éviter le ravin…

« Dans mes connaissances, 14 personnes se sont foutues en l’air. La plupart de ces gens étaient agriculteurs. C’est terrible, mais j’ai l’impression que ça n’interpelle personne. » Les chiffres officiels font état d’un suicide tous les deux jours chez les agriculteurs en France…

Beaucoup de suicides dans son entourage

L’accompagnement qu’a reçu notre homme auprès d’une association d’aide aux paysans lui a été précieux. Et il tourne la page soulagé aujourd’hui. « L’objectif, c’était que la vente de la ferme couvre mes dettes et que je ne parte pas avec un boulet au pied. »

Il transmet finalement son exploitation à deux jeunes agriculteurs. Une ferme qu’il avait reprise en 1999, après avoir été salarié agricole de 1992 à 1998. Le cheptel se composait de 35 vaches au départ, pour 107 000 litres de lait.

Il fallait que je fasse autre chose »

Petit à petit, le paysan désormais reconverti a été contraint d’agrandir sa boutique pour répondre aux exigences économiques. « Jusqu’à 200 000 litres de lait, mon affaire tenait la route. Mais c’est quand on m’a demandé de produire plus de lait pour payer ma mise aux normes, que ça a déraillé. J’ai retrouvé une fiche de paye de ma mère datant de 1975 : on était payé au même prix en 2015 qu’à cette époque. Cela faisait quinze ans que je travaillais en dessous du Smic. Si je continuais comme ça, je serais arrivé à 61 ans à finir de rembourser du matériel et des bâtiments d’élevage. Il fallait que je fasse autre chose. Et je ne devais pas attendre trop tard pour le faire, sinon après les entreprises ne t’embauchent plus et te disent que tu es trop vieux… »


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