La dernière couleur symbolisant une époque était la couleur noire. Il s’agissait des années 30. C’est désormais le jaune qui va incarner 2018 et les reflets sont aussi sombres. Bien évidemment, nous ne vivons pas aux Croix de Feu et aux ligues déferlants sur le Palais Bourbon.
Les Gilets jaunes aux portes de l’Elysée
Samedi 17 novembre 2018, des manifestants ont bien marché vers l’Élysée. Ils se sont heurtés aux forces de l’ordre. Mais le mouvement était pacifique. Les incidents se sont limités à quelques « poussées » de CRS et à un peu de lacrymogène. Les « gilets jaunes » ont commis parfois des débordements inadmissibles : agressions gratuites et prise en otage d’ambulances ou de malades sur le chemin de l’hôpital. Ces faits sont graves et insupportables.
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Mais la violence n’est pas celle des « coupeurs de jarrets » qui, le 6 février 1934, poussaient au sol les chevaux de la garde nationale. Les « gilets jaunes » ne veulent pas abattre la République et détruire la Démocratie. Ils foulent aux pieds certaines valeurs républicaines et démocratiques : la liberté d’aller et de venir, le respect du bien d’autrui ou la liberté d’expression.
En colère, pas en insurrection
Toutefois, ils ne sont pas dans une logique « insurrectionnelle » pour établir un Ordre Nouveau. Les « gilets jaunes » sont en colère. Ils ne militent pas pour un système politique alternatif. Les contestataires crient leur dépit à la « face » du système en place. Et cette « face » a un visage, un nom et un prénom : Emmanuel Macron. Les « gilets » n’ont pas de leader ou de programme. Ils n’ont pas Barrés, Maurras ou Marx en bandoulière.
Le dépit déborde
C’est « juste » un immense dépit qui déborde. Découvert le 10 du mois, vacances impossibles et interdites par un pouvoir d’achat trop faible. Les « gilets jaunes » ne sont pas les « Bruns » de la France des Ligues ou les « Rouges » de la Russie des « Soviets ». Bien sûr, il existe des tentatives de récupération politique, allant du Rassemblement National en passant par La France Insoumise et les Républicains de Laurent Wauquiez.
Toutefois, les « gilets jaunes » sont d’abord et avant tout des « orphelins » de la société de consommation. Plus de 70 % des salariés et ouvriers soutiennent le mouvement. C’est révélateur. C’est une France qui dresse contre l’autre. Emmanuel Macron incarne une France urbaine, favorable à l’écologie. Une France qui a confiance dans l’avenir et bénéficie d’un présent confortable ou du moins stable. La France des « gilets jaunes » est celle des « petits boulots », des petites retraites et des salaires modestes. Le schéma peut paraître trop binaire pour être juste. Mais il est conforme au profil et aux propos des « gilets jaunes ».
Vision à la Robin des Bois
À leurs yeux, Emmanuel Macron est le « Président des Riches ». Il donne aux nantis et demande des efforts aux plus faibles. Cette vision à la Robin des Bois, avec le chef de l’État dans le rôle du sheriff de Nottingham, est le « moteur » des « gilets jaunes ».
Les contestataires brandissent l’étendard de la justice sociale et fiscale. C’est une demande désordonnée et « invertébrée » (anarchique dirait le Premier ministre), mais c’est une demande légitime. Emmanuel Macron paye des décennies d’absence de lisibilité fiscalité et d’aveuglement écologique.
Après la baisse de la fiscalité du capital
Mais il a une part de responsabilité. La hausse du prix du carburant fait suite à des réformes opaques. La quasi-suppression de l’ISF et la baisse de la fiscalité sur le capital n’ont pas démontré leur utilité économique et sociale. Les Français les plus modestes peuvent se dire qu’il s’agit de simples cadeaux.
L’impression que les pauvres financent les riches…
Rien ne (dé) montre qu’il existe un retour sur investissement : une croissance plus forte avec plus d’emplois. L’adepte du « en même temps » a privilégié une politique libérale. Il a oublié un volet social. Pire, la baisse des APL ou l’augmentation de la CSG ont donné l’impression que les cadeaux aux riches sont financés par les pauvres.
Même la hausse du salaire net renvoie cette image. Le gain est d’autant plus important que le salaire est élevé. Ces réformes (à marche forcée) se sont faites sur une seule jambe. Emmanuel Macron trébuche sur ce faux pas et le croc-en-jambe a désormais une appellation : les « gilets jaunes ».
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Laurent Dubois