Son besoin de parler est immense. Quelques jours après une première audience au tribunal qui a vu son procès renvoyé, cette femme de 30 ans ne comprend pas que « les victimes ne soient pas plus écoutées ». L’impression qu’il y ait plus « d’attention » portée à son bourreau : « l’avocate du prévenu s’est quand même inquiété de comment il pourrait revoir ses enfants par exemple, alors que je n’ai pas eu le droit à la parole », lance Lola*.
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Plus posée, lors d’une rencontre en face-à-face, 72 heures plus tard, celle qui porte une minerve livre son récit : une histoire d’amour commencée en 2011 qui dégénère deux ans plus tard. La spirale est infernale. Les coups pleuvent de temps en temps. Jusqu’à ce coup de poing qui l’a laissée K.O. en ce jour de novembre. Elle avait sa fille dans les bras. C’est une autre de ses enfants qui appellera les pompiers. Les forces de l’ordre suivront. Elle se résout à porter plainte. Alors que se profile la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes ce dimanche 25 novembre, elle souhaite témoigner pour faire savoir qu « il reste du chemin dans la prise en charge des victimes, bien que le sujet soit proclamé grande cause nationale par les pouvoirs publics ».
Hebdo de Sèvre et Maine : Lola, quand a commencé le calvaire ?
Lola : Je ne serai pas vous dire. On ne s’en rend pas vraiment compte. Encore aujourd’hui, j’ai dû mal à réaliser que j’ai ce statut. On est dans le déni. On se remet en question en permanence. Aussi parce que la violence psychologique est encore plus forte que les coups. On ne le voit pas. On est l’objet de quelqu’un. Je sais que ce n’est pas facile à entendre. Ça commence par des prises de tête pour des broutilles. Le ton monte. Et puis viennent les coups. Une gifle, un coup de pied, un coup de coude…. C’est régulier. Même quand on est enceinte. On ne dit rien. Même quand on se retrouve inconsciente, à la suite d’un coup et que ce sont les pompiers qui vous réveillent. On ne porte pas plainte. Votre entourage vous demande pourquoi…
HSM : Pourquoi justement ?
Lola : Ça c’est la question… Parce que dans mon cas, on ne veut ou peut pas voir la vérité en face car il y a une manipulation. Il y a les enfants. On veut qu’ils gardent leur père je pense. Et puis, au fond, il y reste quelques sentiments, aussi paradoxal que cela puisse être. Entre les coups, il y a aussi des paroles réconfortantes. Des projets de vie de famille, de vacances voire même des perspectives professionnelles ensemble. On se raccroche aux miettes. L’espoir de jours meilleurs nourrit par ce qu’il nous promet.
HSM : Et là qu’est-ce qui vous a fait franchir le pas ?
Lola : Difficile à dire et je n’ai pas vraiment réflèchi. Peut-être parce que les enfants ont été témoins. J’avais ma fille de 3 ans dans les bras et aurait pu prendre le coup à ma place. Il fallait que ça cesse. Et puis la police est intervenue. Je suis allé au commissariat le lendemain.
HSM : Lola, on sent que tout n’est pas gagné en matière de la prise en charge des femmes victimes de violence conjugale. C’est un autre combat qui commence ?
Lola : Si je prends mon histoire, c’est clair que oui. Maintenant, je ne peux pas parler pour tout le monde. C’est un grand vide depuis les faits. ça a commencé à l’hôpital. On ne m’a parlé que de problèmes physiques. Rien sur mon moral alors que les pouvoirs publics nous disent que l’état psychologique des femmes victimes de violences doit être pris en compte. Or, je n’ai plus aucune confiance en moi, plus aucun repère. Je ne cache pas que j’ai des idées suicidaires compulsives. Quand je suis sortie du tribunal l’autre jour, je ne voyais que la Loire. Je m’écris même des SMS pour me soulager… Heureusement que ma famille et mes amis n’étaient pas loin (les larmes coulent). Ce n’est pas pour pigner. Je n’ai eu qu’un entretien avec l’Adavi le jour de l’audience au tribunal. J’ai appelé tous les services dont ils m’ont donné le numéro. Il n’y a qu’une psychologue qui m’a reçue une semaine après. Cela m’a soulagée de parler avec elle mais je ne peux bénéficier d’expertise psychologique si ce n’est à mes frais, alors que monsieur a obtenu une obligation de soins. Jusqu’au procès au printemps, il faut tenir. J’ai l’impression que les victimes sont mises de côté.
HSM : Quel est votre message ?
Lola : Ecoutez les victimes. Ecoutez-les. Elles ont besoin de parler. Et à l’Etat : donnez-les moyens aux professionnels de les écouter. La journée internationale, les mobilisations, les sensibilisations du grand public… tout ça, c’est bien. Mais les actes concrets comme les prises en charge, les accompagnements, les aides… c’est mieux. Y compris pour les enfants. Les miens ont été victimes de la scène et ils ne verront qu’un psychologue seulement le 19 décembre prochain alors que leur choc est important. Ils en parlent tous les jours mais je ne suis pas certaine d’être celle qui est en mesure d’encaisser leur mal-être. Je pense aussi qu’il faut parler, témoigner : c’est vital pour enlever une partie de ce poids.
*Prénom d’emprunt