En 1915, alors que la guerre semblait déjà s’éterniser, il fut décidé de constituer à Brest un organisme interallié placé sous la présidence du vice-consul de Russie, la “mission russe”, chargée de subvenir partiellement aux besoins des armées du Tsar. Ainsi, pendant deux ans, 400 000 tonnes de munitions, avions, locomotives et matériels divers furent expédiés aux troupes impériales sur 120 navires anglais ou russes : plusieurs de ces vaisseaux furent torpillés malgré les précautions prises pour éviter les sous-marins allemands.
En 1916, un corps expéditionnaire russe, composé de quatre brigades, fut envoyé en renfort des troupes françaises en Champagne et à Salonique. Trois brigades, soit 30 000 hommes, débarquèrent à Brest en juillet et à l’automne. La quatrième débarqua à Marseille et ne vit jamais la ville du Ponant. Néanmoins, l’arrière-petit-fils du général Lokhvitsky, qui la commandait, réside aujourd’hui à Brest : il se nomme Bernard-Noël Bidault et entretient la flamme de la mémoire russe.
Défilés cours Dajot
Selon le témoignage de Léon de la Ménardière, fils du vice-consul de Russie de l’époque, chaque régiment, à son arrivée, «se déployait sur la place du Château, en un vaste carré, autour du pope, qui célébrait un service d’action de grâce », le tout sous les étendards blancs de la Russie impériale. Certaines troupes d’élite « défilaient sur le cours Dajot selon leur privilège spécial», portant haut leurs baïonnettes.
Derrière la façade de ces parades somptueuses se cachait déjà le craquèlement d’un régime tsariste à bout de souffle. Les relations entre les soldats russes et les autres populations étrangères, notamment les travailleurs algériens et les soldats portugais, étaient pour le moins tendues : elles ne firent que dégénérer de jour en jour, nécessitant la création par les autorités locales de patrouilles internationales chargées d’étouffer les rixes.
Une stèle en souvenir
Mais, bien sûr, le vrai problème fut le souffle de la révolution bolchévique qui parvint jusqu’en France : dès le printemps 1917, un «soviet de soldats» se constitua à la caserne de la Pointe. Durant cette année de révolution, de nombreux soldats désertèrent. Après l’arrivée des premiers contingents américains, les derniers Russes se dispersèrent.
En souvenir de ce corps expéditionnaire russe, une stèle en bronze de 5,5 mètres de haut a été installée à Brest, plus précisément au milieu du square de la place du Général-de-Gaulle : elle a été inaugurée le 15 juillet 2016, pendant les fêtes maritimes.
Benoît Quinquis
Infos pratiques :
Source : Léon de la Ménardière, Brest et l’ancienne Russie, Les Cahiers de l’Iroise, 1963.
Cahiers de l’Iroise
Le numéro 230, Russes et Bolcheviks en Bretagne (XIXe-XXIe siècles) marque un tournant dans l’histoire de la société éditrice de la revue : après six ans à la présidence de la Société d’études de Brest et du Léon, Yves Coativy a passé la main à Dominique Derrien.
À l’issue de cette année de commémorations de la Première Guerre mondiale, cette publication rend justice au corps expéditionnaire russe mais ne se limite pas à 1914-1918. Elle traite bien de la présence russe à Brest du XIXe siècle à nos jours. «En plusieurs occasions, Russes, Brestois et Bretons se rencontrèrent au cours d’événements heureux, malheureux voire tragiques», souligne Dominique Derrien dans son éditorial.
Avant la Grande guerre , il y eut la naissance de l’alliance franco-russe en 1893, dont l’un des principaux artisans, le général Le Flô, était natif de Lesneven. Après 14-18, il y eut les mutins de la Mer Noire de 1919 ou la compagnie russe des FFI de Brest. Les Russes résidant aujourd’hui à Brest sont également à l’honneur avec des articles consacrés à l’artiste-peintre Elena Tikhmoriva et au metteur en scène Valéry Rybakov.
Russes et Bolcheviks en Bretagne (XIXe-XXIe siècles), Les Cahiers de l’Iroise n°230, parution le 12 décembre.
Prix : 25 euros.