La venue d’Emmanuel Macron dans la commune de Grand Bourgtheroulde (Eure) pour le lancement du grand débat national s’est faite sous haute surveillance, mardi 15 janvier 2019. Durant la journée, plusieurs rumeurs et infox ont circulé concernant la façon dont les forces de l’ordre ont encadré les manifestants venus « accueillir » le président.
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Pas d’amende de 135 euros pour port de gilet jaune
C’est certainement la rumeur qui a le plus fait réagir les internautes et manifestants sur place. Dans un tweet, la journaliste du Monde Aline Leclerc affirme que « les Gilets jaunes reçoivent l’ordre de retirer leur filet sous peine de 135 euros d’amende ».
Contrôle d’identité aux abords de #Bourgthroulde : les gendarmes ne font pas que vérifier les pièces d’identité, ils les prennent en photo. « C’est du fichage » dit un manifestant. Les #giletsjaunes reçoivent l’ordre de retirer leur gilet « sous peine de 135 euros d’amende ». pic.twitter.com/MKBgAMf2Wx
— Aline Leclerc (@aline_leclerc) January 15, 2019
Comme nous l’explique Me Étienne Lejeune, avocat au barreau du Havre, un tel montant « se rapporte à une contravention de 4e classe ». Ce type de contravention sanctionne ordinairement des infractions routières : circulation en sens interdit, conduite en état d’ivresse, refus de priorité, non respect d’un feu rouge ou d’un stop, dépassement dangereux, etc.
Le site CheckNews a contacté la préfecture de l’Eure qui a assuré ne pas avoir donné de directives visant à donner des amendes aux Gilets jaunes. De même, de nombreux membres du dispositif de sécurité ont fermement nié, auprès de nos journalistes sur place, la mise en place de telles directives.
Le #granddebatnational lancé par #EmmanuelMacron à #Bourgtheroulde : Une intox circule parmi les #GiletsJaunes concernant une forte amende pour port du gilet, « c’est faux » me dit une source judiciaire dans le dispositif, l’infraction n’existe pas. Ici, nombreux le porte @27actu pic.twitter.com/EhVAzwzpta
— Raphaël Tual (@raphtual) 15 janvier 2019
Seul le journal France-Soir affirme avoir eu confirmation de telles consignes par la compagnie de gendarmerie de Grand Bourgtheroulde.
CheckNews précise par ailleurs que la journaliste du Monde n’a pas été témoin directe de la scène décrite. Elle rapporte en réalité les propos d’une consoeur de RMC qui n’a elle-même pas entendu le montant de 135 euros. Les seuls témoignages en ce sens sont donc ceux de Gilets jaunes. « Le gilet jaune en question confirme qu’un gendarme l’a menacé d’une amende de 135 euros car son gilet jaune montrait qu’il appelait à une manifestation interdite. Ce montant ne correspond pas à ce que prévoit le Code pénal », insiste CheckNews.
En somme, aucune amende de 135 euros n’existe, dans les textes de loi, pour interdire la participation à une manifestation et encore moins pour le port d’un Gilet jaune. Me Lejeune conclut :
Une peine ne peut être justifiée que par un texte. Nul crime, nulle peine sans loi, c’est le principe de légalité des peines en droit pénal français.
Les gendarmes ont-ils pris des photos de pièces d’identité ?
Dans le même tweet, la journaliste du Monde Aline Leclerc affirme que « les gendarmes ne font pas que vérifier les pièces d’identité, ils les prennent en photo ». Cela a suscité l’indignation d’internautes qui craignent un fichage illégal des manifestants. Sur la photo qui accompagne le tweet, difficile de déterminer si le militaire prend bien une photo de la pièce d’identité puisque le téléphone tenu par le gendarme est flou.
Il faut toutefois rappeler que depuis 2017, les gendarmes de Normandie sont équipés du système NeoGend qui leur permet, entre autres, avec leur smartphone de scanner les pièces d’identité lors de contrôles pour vérifier par exemple si l’individu contrôlé est recensé au fichier des personnes recherchées. L’usage de ce dispositif, et l’absence d’infraction pour port de Gilet jaune ont été confirmés par la Gendarmerie nationale.
#HalteAuxRumeurs Nos téléphones sont connectés #Neogend : on consulte directement les fichiers par lecture optique des documents d'identité. Vérification classique et moderne oui, fichage non. Le port du Gilet Jaune n'est pas une infraction donc pas de verbalisation #Evidence pic.twitter.com/acb7ijfq3K
— Gendarmerie nationale (@Gendarmerie) January 15, 2019
Me Lejeune rappelle par ailleurs que « les services de police ou de gendarmerie peuvent procéder à des contrôles d’identité et si la personne n’est pas en mesure de justifier son identité immédiatement par un document officiel elle peut être emmenée au commissariat et retenu pour vérification pendant un maximum de quatre heures ».
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Légal ou pas de manifester à Grand Bourgtheroulde ?
Depuis début janvier 2019, des arrêtés préfectoraux interdisent « toute manifestation ou rassemblement, notamment dans le cadre du mouvement dit des gilets jaunes » dans une vingtaine de communes de l’Eure, dont Grand Bourgtheroulde. Rebondissement le jour même de la visite d’Emmanuel Macron dans le département, la quasi totalité de ces arrêtés ont été suspendus par le tribunal administratif de Rouen, comme le relate sur Twitter Me Aïnoha Pascual, avocate à Paris.
Nous avons obtenu ce matin, aux côtés de la @LDH_Fr et de @AA_Avocats la suspension des 22 arrêtés portant interdiction totale de manifester dans le département de l’Eure. Seul subsiste l’arrêté de Grand Bourgtheroulde qui accueille ce jour @EmmanuelMacron.
— Aïnoha Pascual (@Ainoha_Pascual) January 15, 2019
Tous les arrêtés ont été suspendus sauf celui concernant Grand Bourgtheroulde, détaille l’avocate. Cela n’a pourtant pas empêché plusieurs centaines de Gilets jaunes de se réunir dans la commune. Ces manifestants « illégaux » ne risquaient pas une très forte amende, comme nous l’explique Me Étienne Lejeune :
La participation à une manifestation interdite est punie d’une contravention de 1° classe c’est-à-dire 11€ (amende forfaitaire et 38€ montant maximal…), prévu par l’article R610-5 (violation d’un arrêté d’interdiction de manifester mais ils ont été levés…).
En revanche, les organisateurs, si tant est qu’il y en ait, de cette manifestation risquent gros s’ils sont identifiés, jusqu’à six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende.
D’après la préfecture de l’Eure, interrogée peu avant 19 heures, seules deux interpellations étaient recensées en marge du déplacement présidentiel. On en ignore pour l’heure les motifs.